1788. La France traverse une crise profonde et l’Etat est au bord de la banqueroute. Les récoltes ont été catastrophiques et, aux critiques des salons, des clubs et des loges maçonniques s’ajoute le grondement de la rue qui souffre de la hausse générale du prix des céréales et du pain. De nombreuses réformes ont été engagés, comme celle de Calonne (qui prétend établir l’égalité devant l’impôt), afin de résoudre la crise. Elles ont toutes échouées. La dette publique est telle que l’État doit trouver des ressources nouvelles et, pour cela, contrer le conservatisme des privilégiés qui bloque les réformes. Le 7 août 1788, Louis XVI, après avoir longtemps hésité, convoque enfin les États généraux du royaume de France. Comme le Parlement refuse d’enregistrer les décisions du roi, il ne reste donc plus à celui-ci que cette institution représentative du royaume, héritée de la monarchie féodale et qui n’a pas été réunie depuis 1614.
Durant les années qui précède 1789, la crise financière et la capacité du régime à se réformer ouvrent une grave crise politique dont profite l’aristocratie pour invoquer la convocation des états généraux. Mais à ce jeu dangereux, l’aristocratie ne l’emporte pas. En provoquant la réunion des États généraux par son refus de toute réforme qui porterait atteinte à ses privilèges, elle met certes à bas l’absolutisme royal mais ouvre aussi la voix, sans le vouloir, à la révolution.
Si, en 1774, le couple royal était très populaire, la reine est désormais détestée à Paris. Des pamphlets accuse celle-ci de ruiner le pays par ses dépenses inconsidérées: on lui reproche entre autres de s’être fait construire le Hameau, à Versailles, de doter trop richement ses meilleures amies et d’aimer à l’excès, les robes les fêtes et les bals. Si l’opinion publique est unanime à haïr la reine, la question du mode de représentation aux États généraux va cependant la diviser et faire apparaître un clivage irréductible entre les privilégiés et les autres français. Le 23 septembre 1788, le parlement de Paris accepte que soit convoqué les États généraux mais, précise-t-il, ceux-ci doivent être « composés suivant la forme observée en 1614 » c’est-à-dire que chacun des ordres qui constituent traditionnellement la nation française disposera du même nombre de représentants. Le troisième ordre, où tiers état, qui comprend la plupart des sujets du royaume, aura alors autant de députés que la noblesse ou le clergé: largement majoritaire dans le pays il est donc condamné à la minorité. Ceci suscitera d’ailleurs une querelle de procédure lors de l’ouverture des Etats généraux : le tiers état souhaitait la réunion des trois ordres ainsi que le vote par tête, le vote par ordre donnant nécessairement la majorité au clergé et à la noblesse.
En grande majorité rural et représentant plus de 90 % de la population, le tiers état est aussi divers que peut l’être un peuple: grand bourgeois vivant comme des nobles et paysans exaspérés par la réaction féodale, marchand des villes et ouvrier à domicile, maîtres des corporations et colporteurs, chirurgiens-barbiers, savants renommés et charbonniers des forêts, maîtres d’école et jeunes épousées qui déclare ne pas « savoir signer », tous appartiennent au même ordre. Pour la première fois depuis 175 ans ces Français vont avoir la parole. Dès l’ouverture des États généraux, le tiers état revendiquera une Constitution limitant les pouvoirs du roi, précisant les droits du peuple et visant à l’abolition des privilèges du clergé et de la noblesse.
En janvier 1789, des lettres royales fixent les modalités de l’élection. La circonscription électorale fut le bailliage (où la sénéchaussée). Le printemps de l’année 1789 est alors un moment d’extraordinaire effervescence dans toute la France. Des milliers d’hommes, jusque-là condamné à la passivité politique, prennent alors là parole. Partout en France, les hommes se réunissent, discutent et désignent des mandataires pour les assemblées de bailliage. Là, on élit les députés qui feront le voyage jusqu’à Versailles; ils y apporteront un document qui reprend et synthétise les doléances de la région. Théoriquement, la parole est libre. En réalité, elle est souvent confisquée, détournée et censurée, car dans la plupart des villages, les seigneurs où les hommes de la ville, avocats ou notaires, imposent leurs doléances et poussent à une grande modération dans le choix des demandes est dans la formulation. Pourtant, dans beaucoup de paroisses, un discours revendicatif émerge, met en question le principe même des droits seigneuriaux, critique les abus des propriétaires, dénonce le poids et l’inégalité des impôts royaux. Parce qu’ils sont rédigés pendant la crise de l’hiver 1788-1789, des dizaines de milliers de cahiers de doléances disent le malheur des temps, les inspirations multiples et contradictoires des Français. Mais il exprime aussi l’immense confiance que ses sujets de province continuer à placer en Louis XVI, leur “père”. On pense que le roi peut empêcher les seigneurs de chevaucher dans les blés mûrs, peut supprimer la gabelle et les gabelous, réorganiser les provinces et même favoriser des réformes utopiques de l’armée ou de l’instruction.
Si le but principal des États généraux est de résoudre la crise financière, le roi a donné à cette mesure une portée bien plus grande, celle de redresser « les abus en tous genres » et « établir un ordre constant et invariable dans toutes les parties du gouvernement qui intéressent le bonheur des sujets« . Très vite, cette perspective l’emportera dans l’esprit desdits sujets, qui préféreront bouleverser l’état plutôt que de renoncer à l’amélioration de leur sorts. Les élections durèrent de février à mai 1789, et désignèrent plus de 1100 députés: 291 députés du clergé (dont 220 curés, la plupart acquis aux idées de la réforme), 270 députés de la noblesse ( dont 90 libéraux), et 578 députés du tiers (207 officiers et homme de loi, 211 membres de profession libérale parmi lesquels 160 avocats et 110 commerçants, agriculteurs et industriels.)
L’ouverture des États généraux le 5 mai 1789 est précédée par une procession. Le cortège sort de l’église Notre-Dame de Versailles pour se rendre à l’église Saint-Louis traversant la place Dauphine.
5 mai 1789: le roi Louis XVI ouvre la séance inaugurale d’ouverture des États généraux. Séance dont les conséquences seront incalculables. Cet événement fondateur de la Révolution française constitue une étape symbolique dans la destruction de l’absolutisme. De l’ouverture des Etats généraux en 1789, à la mort de Robespierre, en 1794, cinq années ont suffit à changer le destin de la France. Avec une idée forte: tous les hommes sont égaux. Celle-ci se déroule dans la salle des Menus-Plaisirs.
Les députés sont forts étonnés d’apprendre par la bouche de Necker que « ce n’est pas à la nécessité absolue d’un secours d’argent » qu’ils doivent « le précieux avantage d’être rassemblés par Sa Majesté« . Necker leur déclare de sa voix monotone que le déficit régulier n’est que de 56 millions! Pour les couvrir, rien de plus simple… Ne pourrait-on pas, par exemple, « étendre à la Bretagne la vente du tabac râpé« ? « Quel pays que celui ou sans impôts et avec de simples objets inaperçu on peut faire disparaître un déficit qui a fait tant de bruit en Europe! » Telle est la conclusion du « Magicien » Necker. Les députés se regardent stupéfaits…Puisque le déficit se trouvera comblé par des « objets inaperçus », pourquoi ne s’occuperait-on pas d’unifier le royaume de façon à ne pas changer de lois en changeant de chevaux de poste, selon l’expression de Voltaire? Ce n’est pas pour cela que Louis XVI a fait appel à eux!…
Mais le roi semble plein de bonne volonté, il vient de se déclarer « le premier ami de ses peuples« , et il sera certainement heureux de voir mettre un peu d’ordre et d’unité dans la mosaïque de ses pays d’état et de ses pays d’élection, ou même à travers ses provinces, telles l’Alsace et les Trois Evêchés qui font partie de la France, tout en ne pouvant pas faire librement du commerce avec elle! « La bataille est engagée » écrira ce même soir un député du tiers… et il entendra par là la bataille, non contre le roi, mais avec le roi pour sauver le royaume. Profonde déception ce jour-là: Louis XVI, qui par l’entremise de son garde des Sceaux, dénonce ce jour-là dans un discours maladroit « les innovations exagérées » ne fait aucune allusion au principal objet du litige, le vote par tête ou par ordre.
Le lendemain la séance est consacré à la vérification des mandats.Les députés du tiers état refusent de vérifier séparément, ce qui revient à abolir, de fait, la distinction entre les trois ordres (noblesse, clergé, tiers-état). La discussion sur ce sujet piétine pendant un mois. Tout se précipite ensuite le 10 juin, lorsque l’Abbé Sieyès appelle les membres du tiers à passer à l’action. Le 17 juin, ces derniers prennent deux décisions révolutionnaires : considérant qu’ils représentent « les 96 centièmes au moins de la nation« , ils déclarent qu’à eux seuls ils forment l’Assemblée nationale ; en même temps, ils se proclament souverains en matière d’impôts, dépossédant ainsi le roi d’une de ses prérogatives. Deux jours plus tard, la majorité du clergé décide de s’unir au tiers. Le refus de la noblesse de se rallier et les exhortations de son entourage convainquent Louis XVI d’adopter une attitude ferme.
Le 20 juin, le roi ordonne la fermeture de la salle des Menus-Plaisirs. Les députés, trouvant les Menus-Plaisirs fermés, cherchent un nouveau lieu de séance et, sur la proposition du docteur Guillotin, se réunissent alors dans la salle du Jeu de Paume et s’engagent alors par serment « à ne jamais se séparer et à se rassembler partout où l’exigence l’exigeront, jusqu’à ce que la Constitution soit établie« . À l’envoyé de Louis XVI, qui demande au tiers de se retirer, le Comte de Mirabeau rétorque : « Allez dire au roi que nous sommes ici par la volonté du peuple et que nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes. » Comme l’écrit Dumont, secrétaire de Mirabeau, le tiers état était désormais « confédéré contre la puissance royale« . Le 27 juin, Louis XVI capitule, la majorité de la noblesse et le reste du clergé s’étant joints au tiers. Le 9 juillet l’Assemblée prend le nom d’Assemblée nationale” et commence à discuter d’un projet de Constitution.
Mais la révolte gronde chaque jour davantage, tant l’inégalité se creuse entre la France misérable et les puissants. Louis XVI, qui sent que son pouvoir s’amenuise, prend une décision qui précipita sans aucun doute sa chute : il renvoie le 12 juillet son contrôleur général des finances, le très populaire Necker. La rumeur se répand alors dans la capitale que la répression royale est en marche, et que les députés de l’Assemblée seront bientôt arrêtés.
La suite on la connaît, une partie du peuple de Paris se révolte. La Révolution a commencée…et le 14 juillet 1789, c’est la prise de la Bastille.