Dans les années 30, le mathématicien Alan Mathison Turing (né le 23 juin 1912 à Londres) est identifié comme l’un des cerveaux les plus brillants du Royaume Uni. Le 12 novembre 1937 Turing publie notamment un article de recherche « On computable numbers » dans lequel il met en place sa théorie de la calculabilité et qui est aujourd’hui considéré comme un fondement de l’informatique. Le gouvernement britannique lui demande alors de suivre des cours de chiffre et de cryptanalyse dès 1938. Durant la seconde guerre mondiale Turing est employé par les services secrets britanniques pour décoder les messages secrets allemands et jouera un rôle décisif pour casser les codes allemands utilisés de la célèbre machine Enigma. En septembre 1939, Turing rejoint le manoir victorien de Bletchley Park, quartier général des services de renseignement britannique (entre Oxford et Cambridge), afin de briser le système de cryptage des sous-marins allemands, pourtant réputé inviolable. Il parviendra à mettre au point avec ses collègues dès 1942, une machine à chiffrer électromécanique composée de machines reliées électriquement entre elles qui répliquent le mouvement des rotors d’Enigma donnant aux Alliés un avantage décisif et déterminant, notamment dans la bataille de l’Atlantique et contribuant à éviter l’invasion de l’Angleterre. Selon les historiens, ses travaux ont permis de réduire d’environ deux ans la capacité de résistance du régime nazi. Ce travail secret ne sera pourtant connu du public que dans les années 1970.
Si le mystère Enigma a commencé à être percé en 1942 par l’anglais et mathématicien Alan Turing, il s’est, pour cela, appuyé sur les travaux réalisés par les Français et les Polonais avant la seconde guerre mondiale dans les années 30. Le décodage manuel étant trop lent pour un usage opérationnel des machines spécialisées furent construites pour accélérer ce travail, sous la supervision de Max Newman : le Heath Robinson tout d’abord, puis le Colossus. La machine de Turing est capable de chercher le réglage correct parmi les 159 milliards de milliards d’ajustements possibles (soit celles d’une machine Enigma contenant 5 rotors et 20 connexions) en moins d’une heure, abattant par jour le travail de 10 000 cryptanalystes. Mis en service au début de 1944, le Colossus remplit parfaitement sa fonction et dix exemplaires en furent construits en 1944-45. Après la guerre, les percées des briseurs de code anglais et le décryptage d’Enigma restèrent classifiés secret défense jusque dans les années 1970. Les cryptanalystes de Bletchley Park furent pourtant à l’origine d’une des plus grandes révolutions technologiques de leur siècle: l’avènement de l’ordinateur programmable. Sans eux et Turing, le débarquement du 6 juin 1944 en Normandie n’aurait peut-être pas eu lieu. En 2014, l’industrie du cinéma rendra d’ailleurs hommage à Alan Turing avec le film The Imitation Game.
Une fois la guerre terminée, Turing voue sa vie à la conception d’un des premiers ordinateurs anglais, avant de devenir enseignant-chercheur en programmation et en théorie de la calculabilité, puis il retourne à des travaux plus théoriques, notamment en morphogenèse et en intelligence artificielle. Dès 1941, il aborde déjà la notion d’intelligence des machines, et mentionne l’intelligence d’ordinateur en 1947. Dans son rapport intitulé « Intelligent Machinery », il cherche à savoir s’il est possible pour une machine de présenter un comportement intelligent. Ce rapport préfigure le test de Turing qu’il crée en 1950. Ce test permet de vérifier la capacité d’une machine à faire preuve de signes d’intelligence humaine. Le principe est simple: un opérateur humain est chargé de juger une conversation textuelle entre un humain et une machine. L’opérateur sait que l’un des deux participants est une machine, mais ne sait pas lequel. S’il n’est pas en mesure de discerner l’homme de la machine après 5 minutes de conversation, la machine a passé le test avec succès. Même s’il est ridicule de restreindre l’intelligence à une simple conversation, ce test a servi et sert encore d’objectif pour tous les développements en intelligence artificielle. En 2014, une équipe russe prétendra avoir réussi une version simplifiée du test simulant l’intelligence d’un enfant de 13 ans parlant mal l’anglais, mais ce résultat est controversé et peu de spécialistes l’acceptent. Aujourd’hui encore, ce test fait figure de standard pour déterminer l’intelligence d’une machine, en dépit de nombreuses critiques formulées au fil des années.
Mais il est rattrapé par son destin tragique au début des années 50. La guerre froide a commencé et le pays est marqué par de retentissantes affaires d’espionnage au profit de l’URSS mettant en cause de brillants intellectuels homosexuels. Or Turing ne se cachait pas de son attirance pour les garçons dans une Angleterre puritaine qui pourtant considérait cela comme un crime. Inculpé en 1952 d’homosexualité, Turing a le choix : la prison ou suivre un traitement hormonal castrateur. Quelle reconnaissance de la part de son pays pour ce scientifique hors pair ayant contribué à briser le code secret de la marine allemande et à éviter ainsi l’invasion de l’Angleterre. Considérant qu’il a bien trop de travail pour aller en prison, Turing opte pour la deuxième solution. Mais il ne se remettra jamais de cette douloureuse aventure qui le conduira au suicide deux ans plus tard à l’âge de 41 ans. Le 7 juin 1954 sa gouvernante le retrouve chez lui, allongé sur son lit. Sur sa table de chevet est posée une pomme imbibée de cyanure a moitiée entamée. C’est d’ailleurs cette pomme croquée par Turing qui serait aujourd’hui le logo d’Apple en guise d’hommage au génie si maltraité de l’informatique. Mais cela a toujours été démenti par la firme et son designer.
La loi qui a brisé la carrière de Turing, ne sera abrogée en Angleterre qu’en 1967 (en France, l’homosexualité a été dépénalisée en 1981). Considéré comme l’un des scientifiques majeurs du XXème siècle, Turing recevra des excuses posthume de la part du premier ministre britannique Gordon Brown le 10 septembre 2009 puis la reine Élisabeth II le gracie le 24 décembre 2013 à titre posthume sur proposition du ministre de la Justice Chris Grayling qui avait évoqué un « homme exceptionnel avec un esprit brillant ». Mais une grâce, n’est pas une réhabilitation. De quel crime Turing devait-il être pardonné par la Queen Mum ? Ironie de l’Histoire, cette « grâce » tardive surviendra la même année que celle de la légalisation du mariage homosexuel en Grande-Bretagne.
Les travaux théoriques d’Alan Turing restèrent dans une relative obscurité pendant les vingt premières années de l’informatique, dont les pionniers étaient d’abord accaparés par la construction pratique des machines ; ils ne furent redécouverts qu’au moment du développement de l’informatique théorique (algorithmique, complexité… )dans les années 1960. Des palmarès, comme celui du magazine Time en 1999, l’ont classé parmi les 100 personnages-clés du XXe siècle. En son honneur, le prix Turing (ou Turing Award en anglais) fondé en 1966 est décerné chaque année par l’Association for Computing Machinery à des personnes ayant apporté une contribution scientifique significative dans le domaine informatique tant théorique qu’appliquée; il est souvent considéré comme l’équivalent d’un prix Nobel en informatique. Le lauréat de ce prix reçoit la somme de 250.000 dollars, dont une partie est offerte par Intel et Google.
Bio express : le scientifique britannique Alan Mathison Turing est celui que l’on considère généralement comme le « père de l’informatique » moderne. Sa machine de Turing est en effet à l’origine de l’informatique et des théories de la programmation.
23 juin 1912 – Naissance à Londres.
1936 – Publication d’un article « On computable numbers » décrivant la “machine universelle de Turing”, ancêtre de l’ordinateur.
1939 – 1945 Turing aide à décrypter les codes d’Enigma utilisés par l’armée allemande.
1950 – Test de Turing pour définir l’intelligence artificielle.
1952 – Théorie de la morphogénèse en biologie.
7 juin 1954 – Turing se donne la mort par empoisonnement au cyanure.